top of page

LE LIVRE DES CHOSES PERDUES, par John Connolly

John Connolly, La Formule Magique ?

A ne pas confondre avec Michael ConnElly, nom beaucoup plus évocateur, infatigable machine à écrire, véritable usine de production de romans policiers (dans la majorité de bonne qualité). Pour sa part, John ConnOlly, journaliste irlandais de profession (Irish Times), né en 1968, reconverti en écrivain, s’est fait avant tout connaitre et reconnaître avec ses thrillers fantastiques et à travers les péripéties de l’inspecteur fétiche, Charlie Parker.

C’est d’ailleurs sous cette casquette que j’ai découvert son talent et son imagination débordante. Je pense ici notamment à deux romans à savoir « L’Empreinte des Amants » et « Les Anges de la Nuit », absolument remarquables, bien plus que leurs intitulés, un peu trop lisses à mon avis. On retrouve cette dualité entre angoisse, horreur et humanité, ce mariage impalpable entre deux réalités profondément antagonistes.

On ne saurait parler ici d’héroïc fantasy, ou d’épopée fantastique, puisque la trame reste toujours réelle, concevable. Si d’ordinaire je trouve relativement aisément mes mots pour faire la critique d’un livre, d’un style d’écriture, avec Connolly, mon décodeur est mis à rude épreuve, sa plume nous échappe, elle nous transcende, nous embarque mais se terre dans votre esprit comme, une écriture interdite, un secret impossible à divulguer du moins de façon nette et limpide.

En bref, il suffit de le lire pour le comprendre, ce que je vous invite vivement à entreprendre.

Un Fable Cruelle Inattendue

Lorsque l’on m’a offert ce nouveau livre, revêtu du Prix des Chroniques de la Rentrée Littéraire, je me suis offert un temps de réflexion, en m’interrogeant, au regard de la première de couverture (assez engageante soit dit en passant), sur l’éventualité de l’existence d’un auteur au patronyme similaire.

On semble nettement s’éloigner en effet des fondamentaux avec des simulacres de promesses plus juvéniles … un conte pour enfant tout droit sorti de l’imaginaire cruel et palpitant de Connolly, vulgaire tromperie ou divin essai ?


Voici quelques mots afin de vous mettre dans le bain…


Inconsolable depuis la mort de sa mère, David, 12 ans, se réfugie dans les livres pour fuir le remariage de son père et se consoler de la naissance de Georgie, son demi-frère. Un jour, il découvre un trou caché derrière des buissons, au fond du jardin, et se retrouve propulsé dans un univers parallèle, un monde étrange et hostile peuplé de trolls, de sires loups, de créatures hybrides, mi-hommes mi-animaux, et d'autres personnages issus de ses lectures et de son imaginaire... Grâce à l'aide du Garde-Forestier et de Roland, un preux chevalier, il va, après bien des épreuves – combats, énigmes à résoudre... – rencontrer un vieux roi qui conserve ses secrets dans un volume mystérieux, 'Le Livre des choses perdues'. Ce dernier, conseillé par l'Homme Biscornu, être maléfique qui suit David depuis son arrivée, lui propose un pacte : la vie de son demi-frère contre son royaume. David trahira-t-il Georgie ?

Beaucoup moins enchanteur n’est ce pas ?

En effet, prenez garde, il n’est pas bon et encore moins conseillé de mettre ce livre entre toutes les mains, nous sommes loin du Pays des Bisounours, et si l’auteur nous dupe par une illustration plutôt enfantine, il vous suffit de vous approcher de ce roman pour vous apercevoir qu’il n’est pas dédié à la jeunesse contrairement à nos attentes, mais bel et bien à vous chers lecteurs ; adultes courageux et à milles lieux de vos peurs d’antan … il vous rattrape !

Une Histoire Inspirée

J’entends par l’expression « inspirée » la mise en scène de souvenirs, de mondes du passé qui nous semblent déjà familiers se mêlant à l’intrigue, du moins à ce qui apparaît en constituer le socle. Indéniablement, l’auteur s’appuie et s’inspire de contes ancestraux, si je puis dire, en semant tel le Petit Poucet ici et là quelques personnages rencontrés par chacun de nous dès notre tendre enfance ; de plus, l’idée d’utiliser l’objet même de livre comme « transporteur », comme pivot entre deux mondes fait également écho en nous, je penses à présent à l’œuvre de Michael Ende, « L’Histoire sans Fin » (vous vous rappelez ce petit Bastien tapi dans son grenier avec cet énorme « bible » surmontée d’un serpent entrelacé ?).Enfin, l’expression « inspirée » prend tout son sens en ce que John Connolly, homme d’imagination et de verbe qu’il est, ne s’est ni limité à un simple emprunt servile, ni laissé enfermer par les prédispositions notoirement révélées de chacun des protagonistes. On assiste à une mise en scène déjantée, cruelle parfois … l’enfant que nous étions se retrouvera nécessairement bouleversé, en mal de repères dans ce travestissement à grand échelle, qui n’aboutit pas, comme on l’a déjà trop observé dans le cas des réadaptations, à une médiocre caricature, je vous rassure. La hauteur et les risques pris par l’auteur font de cette fantaisie une épopée authentique et incroyablement vraie, paradoxalement, l’horreur côtoie notre palette émotionnelle et sensorielle avec grâce, on ressort véritablement grandi de cette lecture … mais j’y viens justement.



Tu deviendras un Homme, Mon fils !


Je me dois de vous avertir cependant que vos premiers pas risquent d’être difficiles, personnellement, dès le premier chapitre, David m’a littéralement barbé, l’enfant blessé par la perte de l’être le plus cher, sa jalousie maladive pour son jeune frère, le rejet de la nouvelle structure familiale, autant de lieux communs qui font vite d’un roman, une histoire oubliée. Mais je vous en prie, percevrez, car ce n’est finalement qu’un mauvais moment à passer afin d’atteindre la splendeur dont regorge l’imaginaire de Connolly. Un monde de cruauté emprunté au livre de contes classiques dont les enfants ont l’habitude de la lecture – les codes changent – l’enjeu aussi. S’il n’y a rien de plus ridicule, pensons nous au premier abord, que d’avoir les chocottes à l’idée de s’atteler à une petite fiction de rien du tout ; vous serez vite amenés à revenir sur votre position… c’est de votre initiation qu’il s’agit, l’enfant que vous êtes ne mettra pas longtemps à refaire surface, lui et sa spontanéité, sa fragilité d’autrefois. C’est avec ces yeux d’enfants que vous allez affronter, prendre en pleine poire les secrets diaboliques et merveilleux que recèle ces pages maudites. Finalement, on se rend compte que ce décalage prégnant au début de l’aventure entre fiction et réalité tend à s’effacer progressivement au fil des mots et de notre rajeunissement exprès… Après tout, fait-on réellement la différence à cet âge ? C’est en cela que ce livre paradoxalement fait du bien, il ne se contente pas de nous transporter dans un monde fantastique, bon nombre d’auteurs on déjà exceller en la matière, ici, ce monde n’est pas un refuge dans lequel nous pourrions nous cachés afin de fuir quelques instants les tracas quotidiens, il n’est qu’un prétexte, qu’une manœuvre presque mesquine mais tellement salutaire pour nous retrouvez nous et nos émotions d’autrefois, notre courage sans limite, notre naïveté désarmante.

Le Mot de La Fin


David n’est finalement qu’un guide qu’il nous suffit de suivre imprudemment. Et c’est aussi parce que ce sont avec nos yeux d’enfant que nous traversons les obstacles de ce voyage avec bonheur, que l’atrocité de certains passages, leur perversité parfois ne nous dérangent plus aucunement.

Vous apercevrez d’ailleurs en filigrane d’étranges vérités contemporaines à souhait, des débats qui font rage dans nos sociétés, tellement grimés que vous ne les aborderez pas de la même manière et qui feront de vous je l’espère, au sortir de cette aventure des êtres plus tolérants, plus authentiques …

Je pense que là a réellement été l’intention de l’auteur. A notre insu, il nous fait recevoir avec facilité ce que parfois nous considérions être l’inacceptable.



Note: 5/5


bottom of page