LE LIVRE DES BALTIMORE, par Joël Dicker
Si la folie de l'affaire Harry Québert a su me séduire, bien plus par l'écriture et par ce mythe de l'écrivain déchu que par l'intrigue de fond (bien ficelée mais sans grande originalité), je n'en attendais pas moins de la suite des pérégrinations de Marcus Goldman avec le Livre des Baltimore, ouvrage dans lequel Joël Dicker nous promet de nous ouvrir les portes du passé familial de la Maison Goldman et de ses petits secrets bien gardés.
Jusqu'au jour du Drame, il y avait deux familles Goldman. Les Goldman-de-Baltimore et les Goldman-de-Montclair. Les Goldman-de-Montclair, dont est issu Marcus Goldman, l'auteur de La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert, sont une famille de la classe moyenne, habitant une petite maison à Montclair, dans le New Jersey. Les Goldman-de-Baltimore sont une famille prospère à qui tout sourit, vivant dans une luxueuse maison d'une banlieue riche de Baltimore, à qui Marcus vouait une admiration sans borne. Huit ans après le Drame, c'est l'histoire de sa famille que Marcus Goldman décide cette fois de raconter, lorsqu'en février 2012, il quitte l'hiver new-yorkais pour la chaleur tropicale de Boca Raton, en Floride, où il vient s'atteler à son prochain roman. Au gré des souvenirs de sa jeunesse, Marcus revient sur la vie et le destin des Goldman-de-Baltimore et la fascination qu'il éprouva jadis pour cette famille de l'Amérique huppée, entre les vacances à Miami, la maison de vacances dans les Hamptons et les frasques dans les écoles privées. Mais les années passent et le vernis des Baltimore s'effrite à mesure que le Drame se profile. Jusqu'au jour où tout bascule. Et cette question qui hante Marcus depuis : qu'est-il vraiment arrivé aux Goldman-de-Baltimore ?
Il faut dire que le jeune écrivain commence fort dès le début du roman en nous annonçant l'emprisonnement très prochain de l'un des cousins du héros et sait d'entrée de jeu à coups de non-dits et de tours de passe-passe, faire pressentir au lecteur que le motif de cette inculpation risque d'avoir une résonnance tragique et compromettante pour cette prestigieuse dynastie s'il en est.
Dans la famille Goldman je demande Les Baltimore, les riches, les beaux, les cultivés, les convoités. le narrateur n'y va pas par quatre chemins pour vous exposer le tableau, fort bien scindé d'ailleurs. D'un côté, il y a Marcus Goldman et son petit univers sécurisant, ses parents attentionnées – des gens sans fioritures ni histoires – Les Montclair. de l'autre, la Paradis, la Réussite. Oui, oui, cette famille Baltimore dépeinte façon carte postale : deux cousins merveilleux – Woody, beau et athlétique, Hillel, vif et plein d'esprit – un oncle Saul ténor du barreau et une tante belle à nourrir les nuits enflammées de jeunes adolescents (médecin pour ne rien gâcher). Ah qu'il est pervers ce triste sort qui a éclipsé le petit Marcus de ce bonheur parfait et réduit sa condition à un pavillon bourgeois.
On retrouve donc notre Marcus Goldman, écrivain propulsé au-devant de la scène médiatique et devenu le golden boy du monde de la littérature. Un héros qui, s'il ne m'avait pas trop ennuyé dans l'affaire Harry Québert et savait se faire discret, m'a passablement irrité et ce de manière croissante au fil des pages. le petit Marcus envieux et curieux fait vite place à un gamin pleurnichard ressassant ses jérémiades puériles et stériles. Autant de lamentations et de répétitions parsemant le roman qui auront vite raison de l'intérêt, si ce n'est de la patience, du lectorat. Et je vous épargne le chapitre assez mièvre de son éternelle idylle façon « roman photo » avec Alexandra, une chanteuse en vogue, complice et partenaire de ses jeunes années.
Un Vernis qui S'écaille progressivement...
Ce qui a sauvé in extremis Dicker et m'a poussé à persévérer tient aux personnages secondaires, qui n'en sont d'ailleurs pas réflexion faite, à savoir ses deux cousins et à cet intrigant Drame (même si l'on finit par trouver le temps long sur la fin et presque l'oublier). L'histoire d'un pacte fraternel implicite essuyant les rivalités et les rancœurs intestines avec une beauté et une force époustouflante. Deux destins scellés à jamais par le ciment des douleurs, des fiertés, des épreuves et initiations partagés. Parce que si le Livre des Baltimore a d'autres vocations que de nous conter cette amitié, comme celle de nous révéler au compte-gouttes les petits travers de cette vie de perfection et de lever le voile sur bon nombre de malversation et de tromperies, selon moi, son âme, sa puissance ne se résume qu'à ce duo passionnel et improbable.
Mais grand mal à pris à l'auteur de ne pas faire l'économie, le sacrifice de passages inutiles et encombrants au risque de jouer avec nos nerfs déjà éprouvés. D'user d'une narration à quatre voire cinq temps et d'engluer le lecteur déjà bien mal de repères. D'insister trop lourdement sur cette image d'Epinal qui appauvrit la construction de l'intrigue et casse le rythme qui se fait de plus en plus traînant.
Je sors de ce livre avec un sentiment ambivalent et assez inconfortable – presque contrariée – l'auteur déploie de véritables petites prouesses en parvenant à nous tenir en haleine pour tout de suite se saboter au prix de quelques frustrations marcusiennes qui éclipsent d'un revers de plume son bel édifice.
Pour la première fois, je ne sais si je conseillerais ou pas une lecture, car au milieu de cette grande déception, il y a cette petite flamme à l'intérieur qui ne demande qu'à s'embraser.
A bon entendeur !
Note : 2,5/5