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ZOULEIKHA, par Gouzel Iakhina


Le récit que Gouzel IAKHINA nous offre ici est celui d'une jeune tatare, à l'époque de la dékoulakisation, une campagne de répression orchestrée par Staline et son Armée Rouge dans les années 30 aux fins de collectivisation (selon un plan quinquennal de 1928 à 1932). Des milliers de koulaks, petits propriétaires terriens, furent ainsi déportés vers les plaines hostiles de Sibérie. Un sujet que l'auteur connaît de près, témoignage de sa grand-mère ayant vécu les affres de ce long et éprouvant convoi.


Nous sommes au Tatarstan, au cœur de la Russie, dans les années 30. A quinze ans, Zouleikha a été mariée à un homme bien plus âgé qu'elle. Ils ont eu quatre filles mais toutes sont mortes en bas âge. Pour son mari et sa belle-mère presque centenaire, très autoritaire, Zouleikha n'est bonne qu'à travailler. Un nouveau malheur arrive : pendant la dékoulakisation menée par Staline, le mari se fait assassiner et sa famille est expropriée. Zouleikha est déportée en Sibérie, qu'elle atteindra après un voyage en train de plusieurs mois. En chemin, elle découvre qu'elle est enceinte. Avec ses compagnons d'exil, paysans et intellectuels, chrétiens, musulmans ou athées, elle participe à l'établissement d'une colonie sur la rivière Angara, loin de toute civilisation : c'est là qu'elle donnera naissance à son fils et trouvera l'amour. Mais son éducation et ses valeurs musulmans l'empêcheront longtemps de reconnaître cet amour, et de commencer une nouvelle vie.

Nous suivons les pas de Zouleikha, aussi discrète que miniature, son quotidien de labeur, ses corvées, supervisées par un mari taiseux et qui ne la ménage en rien, et une belle-mère acariâtre et mesquine, surnommée la Goule – c'est dire l'amabilité du personnage. Une vie de labeur que rien ni personne n'épargne, ni enfant ni femme, il semble même que la maternité ait fuit Zouleikha, quatre petits espoirs envolés à son cœur de presque mère. Très vite, le trait se durcit, la marche des déplacés à commencer, la Horde Rouge s'est enflammée, l'emmenant dans son tourbillon et laissant, inerte, son époux derrière elle. Pilant et réquisitionnant leurs biens, leur foi et mettant à sac toute once d'espoir et de courage.


La prouesse narrative de l'auteur réside en ce que lecteur, malgré ce portrait de vie peu édifiant, ne se prendra pas à s'apitoyer sur son triste sort, Zouleikha dégageant une force telle que cela serait lui faire offense. La fatalité semble glisser sur elle – elle – qui se faufile entre les interstices d'un monde sur le point d'imploser.


Une fois débarqués sur les rives de l'Angara, les vies passées seront oubliées, comme nettoyées, il s'agira de se reconstruire au milieu de nulle part, abandonnés de tous – pour peut-être reprendre les rênes de son avenir.


Zouleikha est notre passeur, tout au long de ce périple, dans cette page de l'Histoire où finissent par s'unir les destins de différents protagonistes, à l'image de milliers d'autres, l'amour et l'oppression n'épargnant personne et n'opérant aucune distinction de genre. Des personnages d'une épaisseur rare, à la psychologie parfaitement maitrisée, dont les vies vont s'articuler peu à peu autour de celle notre jeune héroïne. Ivan Ignatov, élégant sergent soviétique, zélé dans sa tâche, patriote jusqu'aux bout des ongles. Wolf Karlovitch, une sommité de la chirurgie obstétrique, pris en otage malgré lui au sein même de sa demeure, réquisitionnée par les forces de l'ordre et abritant de nombreux étrangers. Un être en proie à une désillusion insurmontable face aux libertés saccagées et qui trouve un repos salutaire dans une douce folie.


Une écriture solaire dans la tourmente funeste accompagnée d'une sacrée leçon d'histoire et d'humanité. L'auteur nous régale de sa plume poétique et d'une grande finesse. Comme écrit dans la préface de l'œuvre par Lioudmila Oulitskaïa, voilà de la littérature qui touche au cœur ! Elle nous enchante de vocabulaire exotique, dose à merveille chaque description, y mêle du folklore local et nous transporte avec une facilité consternante dans cette épopée d'un autre monde, d'un autre temps. Une œuvre d'une qualité rare que je vous conseille vivement de dévorer.



Note 5/5


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