LE VIEUX QUI LISAIT DES ROMANS D'AMOUR, par Luis Sepùlveda
- RAPHIKI
- 23 oct. 2017
- 3 min de lecture
Voilà un titre un peu gluant qui m'avait interpellé, d'autant plus une fois associé à sa couverture – quel lien pouvait-il bien exister entre ces deux éléments ? Au fil de la lecture des différentes critiques, je fus rapidement piquée et embarquée dans cette œuvre sud-américaine signée Luis SEPULVEDA direction un petit village baptisé El Idilio (par les conquistadors espagnols) où cohabitent tant bien que mal colons, chercheurs d'or et indigènes.
Antonio José Bolivar Proaño est le seul à pouvoir chasser le félin tueur d'hommes. Il connaît la forêt amazonienne, il respecte les animaux qui la peuplent, il a vécu avec les Indiens Shuars et il accepte le duel avec le fauve. Mais Antonio José Bolivar a découvert sur le tard l'antidote au redoutable venin de la vieillesse: il sait lire, et il a une passion pour les romans qui parlent d'amour, le vrai, celui qui fait souffrir. Partagé entre la chasse et sa passion pour les romans, le vieux nous entraîne dans ce livre plein de charme dont le souvenir ne nous quitte plus.

L'intrigue débute avec le ravitaillement en vivres et soins du hameau par l'Administration espagnole et par un drôle d'incident qui va donner un coup de fouet au rythme de vie embué et lancinant des habitants. le corps d'un gringo (braconnier blanc) est retrouvé et débarqué par deux Shuars - autochtones de cette partie de l'Amazonie – et alors que le maire du village, alias la Limace (fonctionnaire véreux expatrié pour détournement de fonds et médiocre personnage suant l'aguardiente par tous les pores), n'attend pas pour conclure à un acte de barbarie de la part des indigènes, un vieil homme s'insurge et soutient la piste du braconnage et des représailles d'une femelle cougar. C'est donc par cette porte dérobée que notre héros entre en scène et avec lui, une partie de sa vie passée.
Nous découvrons le jeune Antonio José Bolívar Proaño fraichement marié à sa douce Dolores Encarnacion del Santisimo Sacramento Estupinan Otavalo (Sepulveda a le chic pour les patronymes à rallonge dans cet univers dépouillé où cela n'a plus grand sens) et parti chercher son El Dorado dans une région vierge – qui deviendra El Idilio - en achetant un petit lopin de terre. Mais Dame Nature ne les épargnera pas et son épouse trépassera, lui donnant là une grande leçon, celle de ne pas ignorer l'importance et l'équilibre des lois de tout écosystème au risque de se faire engloutir par une nature qui n'entend pas se faire ainsi domestiquer. En découlera sa rencontre avec les Shuars, un peuple acculé par les colons et la déforestation et chassé de leur sédentarisation. A leurs côtés, il apprendra la sagesse, l'art de la chasse « utile » et à caler son pouls sur celui de ce noyau verdoyant et des êtres qui le peuplent.
Une ironie du sort le ramènera à El Idilio et à la civilisation coloniale, une tempête au coeur de laquelle il tombera sous l'emprise des livres, un exercice pour le moins laborieux pour notre héros, distribués et sélectionnés deux fois par an par son ami dentiste. Oui, parce qu'Antonio n'aime pas tous les genres de livres, ceux qu'il préfère sont les livres d'amour avec une grande dose de souffrance, des amours désespérés et un dénouement heureux (une pleureuse quoi). Une échappatoire salutaire pour chasser la nuit et ses dangers, l'atmosphère moite et torride et les vapeurs d'alcool.
Face aux massacres de colons répétés, Antonio se trouvera embarqué malgré lui dans une chasse aux fauves. Un dernier combat au sommet dont il est le seul à connaître les règles loyales et justes, un corps à corps furieux et passionné dont personne ne sortira indemne.
Luis SEPULVEDA nous livre un récit court et puissant, dénonçant la cupidité maladive des hommes et faisant la part belle à une nature qui, contrairement à ce que l'on pourrait croire au regard des assauts et coups cruels que lui portent ces parasites grouillants, n'entend pas baisser les armes avant de rendre son dernier souffle. Une ambiance assez virile et alarmiste.
Note : 4/5
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