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DEFENSE DE TUER, par Louise Penny

Père Castor, Raconte-Nous une Histoire


En ce début d'hiver larmoyant et grisâtre, je vous invite pour une escale verdoyante, un détour rafraîchissant au pays des caribous, vous goinfrez de poutine et vous faire dégouliner les doigts de ce merveilleux nectar qu'est le sirop d'érable. Les clichés imbéciles mais rassurants mis à part, vous reprendrez bien une part de Louise PENNY ? Mais si rappelez-vous de ce génie littéraire dont je vous ai déjà conté les louanges, cette nouvelle prétendante au titre d'ambassadrice du Rompol … c'est reparti pour un tour de piste ! Une fois encore, la première de couverture, un brin British, est un pur produit de sophistication et de loufoquerie, en adéquation parfaite avec l'intrigue et le décor qu'elle renferme.


Au plus fort de l’'été, le Manoir Bellechasse, un hôtel luxueux des Cantons-de-l'’Est, accueille les membres d'’une riche famille canadienne-anglaise venus rendre un hommage à leur défunt patriarche. Dans les esprits comme dans le ciel, l’atmosphère s’'alourdit et une tempête s'’abat, laissant derrière elle un cadavre presque trop bien mis en scène. Mais qui aurait l’'audace de tuer sous les yeux de l'’inspecteur-chef Armand Gamache qui célèbre là, comme chaque année, son anniversaire de mariage ? Au coeœur des bois, derrière les convenances et les sourires polis, la haine et le passé refont surface, persuadant Gamache que le meurtre est comme l'’orage : une libération.


Un Huis Clos Déstabilisant


Tout comme dans « Nature Morte », l'auteure nous permet de nous familiariser quelques instants avant l'instant fatidique avec la victime. Un choix d'autant plus accentué en l'espèce, puisque si le roman s'annonce bel et bien comme un policier, à la lecture des premiers chapitres, on en oublierait presque les raisons qui en ont motivé l'acquisition, phénomène dû à l'enchevêtrement de deux intrigues déconnectées et isolées en apparence.


« Défense de tuer », c'est dans un premier temps, l'opportunité d'une retraite champêtre, un repos bien mérité pour notre inspecteur chef Armand Gamache et son épouse Reine-Marie, et avant tout l'occasion de fêter ensemble leurs noces de rubis dans un cadre idyllique cher à leurs cœurs. Un commencement plutôt gentillet, pas tellement raccord avec l'intitulé de l'œuvre, ponctué par des retrouvailles avec de vieilles connaissances tout à fait charmantes à savoir la maîtresse des lieux, Mme Dubois, le maître d'hôtel, Pierre Patenaude (homme élégant au dévouement aberrant), la Chef Véronique (armoire normande au petit cœur délicat et dotée de paluches à faire pâlir les bucherons de la région) … ainsi qu'une armada de jeunes saisonniers pour le moins turbulents et dissipés.


Louise Penny nous plante le temps de quelques pages dans une atmosphère apaisante et cocooning, on baisse la garde brièvement, ressourcé par l'environnement d'une nature triomphante et les odeurs alléchantes qui émanent des cuisines. On s'y croirait véritablement, assis sur cette terrasse à l'heure où les premiers rayons de soleil pointent le bout de leur nez et révèle cette étendue herbacée et ce lac profond et tranquille. On s'endort sur nos lauriers ! Le personnage d'Armand Gamache est davantage mis en scène, on entre plus facilement dans son intimité ce qui lui fait incontestablement prendre de l'épaisseur. Poète à ses heures perdues, il se dévoile également au travers d'angoisses d'antan, de révélation sur quelques secrets gênants de feu son père.


« Défense de tuer », c'est également un séjour troublé par la présence d'une famille mondaine, les Morrow, personnages aussi étonnants que consternants, réunis en l'honneur d'une commémoration des plus originales en l'honneur de Charles Morrow, pater familias décédé il y a deçà quelques années. L'occasion pour les protagonistes, voire les comédiens, qui la composent de donner leur ultime représentation. Dans la famille de décérébrés je demande…

Irène Finney (Anciennement Morrow) : Matriarche tyrannique et impitoyable, adepte de la psychologie inversée, régnant en despote sur son armée de rejetons. Bert Finney : Meilleur ami de feu M. Morrow et nouvel époux d'Irène. Homme de chiffres et de l'ombre, d'une laideur extraordinaire, imperméable aux frasques de ses congénères. Peter Morrow (alias Spot) et son épouse Clara : Déjà rencontrés dans un précédent avis, couple de peintres marginaux. Un fils désavoué en perpétuelle recherche de reconnaissance, de gratitude familiale, sujet positif au syndrome de Stockholm. Une âme d'artiste au tempérament de banquier. Un être a priori détaché de toute cupidité et convenances de son rang mais profondément torturé. Thomas Morrow (alias … Rien) et son épouse Sandra : Petit prétentieux snobinard à la tête d'une multinationale, d'une arrogance subtile et tranchante. Coupable idéal… un peu trop cependant. Julia Morrow : L'extradée, ex-femme d'un homme rompu aux affaires et aux magouilles en tout genre, elle fuit sa cellule familiale à l'âge de vingt ans pour une raison inavouable par ses congénères. Passionnée et névrosée, elle attise les convoitises. Marianna Morrow (alias Magilla le Gorille) et son enfant Bean (alias l'enfant qui ne sait pas sauter) : Benjamine de la fratrie au physique peu attrayant et négligé, elle se place dans le sillage de la course à l'héritage sans aucun état d'âme et affiche ses attentions au grand jour. Rancunière et mesquine, le prénom, ou plutôt le sobriquet, porté par son enfant, Bean (Haricot en anglais), ainsi que la mise sous silence du sexe de l'enfant, encore indéterminable, ne sont autres que le produit d'une énième contrariété faite à l'attention de sa génitrice. Et Charles Morrow… enfin ce qu'il en reste à savoir une statue gigantesque dressé dans ce somptueux décor comme une chiure de mouche… colosse aux pieds d'argile, pierre angulaire du triste dessein qui s'annonce. Intrigant et secret, père indigne ou père un tantinet trop protecteur ?

L'intérêt de vous présenter cette tripotée de furoncles ambulants est assez révélateur du style d'écriture et de la mise en scène de Louise Penny qui excelle par sa capacité à accoucher de personnages aux portraits psychologiques foisonnants et détaillés, sans pour autant tomber dans un excès de description ennuyeuse et redondante.

Comme une Odeur Délicieuse de Pourriture


A la manière de ces précurseurs, Agatha Christie et Fred Vargas, Louise Penny confronte un à un l'ensemble de ses protagonistes, l'occasion de mettre en avant les rivalités de chacun et les zones d'ombre subsistant sur les rancœurs d'autrefois, pas toujours en lien direct avec le meurtre en lui-même mais qui étoffe le roman et le crédibilise davantage.


La rupture avec cette entrée en matière doucereuse et gourmande est consommée par la mort effroyable et glaciale de Julia Morrow, retrouvée dans le parc, écrasée, les bras ouverts, par la statue de son paternel, Charles Morrow. Autrement dit, l'heure pour Armand Gamache de siroter sa dernière tasse de thé au miel et de reprendre du service accompagné de sa brigade spéciale. L'étau se resserre, rapidement la conclusion du meurtre tombe, le huis clos est ordonné. Les personnages se dévoilent dans toute leur abomination et comme il est de coutume, le suspect potentiel se niche en chacun d'eux ce qui rend le lecteur d'autant plus fasciné et impatient, trépignant à l'idée de vérifier ses propres suppositions avec le verdict final, Joueur de Cluedo un jour, Joueur de Cluedo toujours ! Les machinations font rage et le contraste entre l'horreur et les vicissitudes des caractères et les odeurs subtiles et chaleureuses d'une cuisine traditionnelle perdure avec brio.

Louise Penny réussit à nouveau un tour de maitre. Encore une fois, la trame sympathique et bonne enfant de l'intrigue jongle avec l'atrocité des faiblesses humaines. le décalage entre cruauté et burlesque est parfaitement assumé et cohérent pour le plus grand plaisir du lecteur.

Une lecture haletante et menaçante sur fond de détente délicieuse et appétissante.



Note : 4,5/5


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