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LE CHAH DU MAHBOULISTAN, par Karagueuz Effendi

Cette farce politique et sociale aurait pu s'intituler le Bal des Opportunistes avec ses portraits acides et sans concession. Mais les critères du conte satirique étant réunis et la personnification de chacun des gouvernements, si aboutie, que le titre se suffit.

Les vastes territoires du royaume imaginaire du Mahboulistan s'étendent quelque part entre la Perse et l’'Empire britanniques des Indes. Son monarque, Saïd ’Ali Hussein II, Roi des Rois, Point de Mire de l’'Univers, Soleil de la Nuit, etc. est confronté à quelques revers de fortune. Ruiné par une cour dépensière et par une guerre funeste avec ses voisins, menacé par le spectre d'une révolution, il décide de se rendre au Frankistan afin d’'y contracter un emprunt censé lui permettre de maintenir son train de vie dispendieux. Il débarque à Marseille puis se rend à Paris. Mais rien ne se passe comme prévu: le potentat oriental étant peu au fait des us et coutumes occidentaux, les quiproquos et incidents hilarants s'enchaînent. En visite à l’'Exposition universelle de Paris, il est ébloui par les nombreux bibelots, qu'il commande par centaines. Il découvre également la France officieuse et ses belles de nuit, avec lesquelles il devra en découdre…. Entre-temps, la révolution éclate au Mahboulistan. Sa Majesté se trouve alors l'otage des puissances européennes qui lui dictent les conditions d'un prêt à taux usurier, et doit se résoudre à retourner dans son pays, réduit au statut de roi fantoche, sans pouvoir aucun….


Si vous vous échinez encore à situer le Mahboulistan, ne vous triturez pas plus longtemps les méninges, ses contrées n'ont pas de place sur notre planisphère. Tout droit sorti de l'imaginaire de KARAGUEUZ EFFENDI (alias Jacques de Morgan), ce pays, à la croisée de l'Empire perse, de l'Inde et de l'Afghanistan, est né dans le sang et la traitrise, sorte de mutinerie bâtarde de l'un des nombreux rejetons du Chah, à l'occasion d'une mise à genoux de son peuple par le tsar Nicolas Ier et son armée.

Une lignée de souverains despotes et sanguinaires s'ensuivra jusqu'à l'affaire qui nous intéresse, le règne de Saïd 'Ali Hussein II. Tenir à sa merci un peuple dans l'opulence et le luxe, le traire comme une vache à lait : voilà la triste et lourde charge à assumer pour le Roi des rois. Une pointe d'ironie distillée tout au long de l'ouvrage, l'auteur nous dépeignant le Chah comme un souverain affable et désintéressé. L'écriture est érudite, l'homme sait de quoi il retourne pour en avoir été l'un des premiers témoins de part les hautes fonctions qu'il occupait et dont il se séparait à l'époque de la publication de l'œuvre.

L'histoire semble intemporelle et superposable au paysage géopolitique actuel : un peuple acculé par la folie des grandeurs de son dirigeant et sa soif exacerbée de pouvoir, son manque cruel de jugement, à l'instar de ses voisins occidentaux qui eux, ont « l'intelligence » de se grimer pour expédier leurs petites affaires crapuleuses.

On pourrait regretter le manque d'explicitations de certains termes exotiques qui s'accumulent au fur et à mesure de la lecture et qui entravent la progression de l'intrigue. Un bon point pour une analyse cinglante qui ne tourne pas aigre grâce à un auteur qui ne se défait pas d'une certaine dose d'humour et de mauvaise foi. Une lecture enrichissante et agréable que les Editions Olizane (que je remercie chaleureusement ainsi que Babelio) ont eu la bonne idée de rééditer un siècle après sa naissance.


Note : 3/5


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