LA PORTE, par Magda SZABO
La quatrième de couverture a été abaissée comme un vieux pont-levis rouillé, dans un grincement cérébral déroutant, à l'instar de ce personnage énigmatique dont l'histoire m'a fait l'effet d'être jetée en pâture au lecteur, comme on balancerait les restes du monde à un chien galeux.
La plume est habile et percutante, le déséquilibre - évidemment volontaire - entre les personnages principaux, certain. L'auteure nous amène à la rencontre d'Emerence, figure de proue et moteur de son quartier un peu branlant. Une vieille femme sans âge, un peu sorcière, au caractère irascible et au verbe tranchant, dictant sa loi à qui ne veut pas l'entendre, sans détours ni fioritures. Une force de la nature dont on se prend, sans motif légitime, à vouloir excuser sinon expliquer ses humeurs vives et son envahissement dévorant, par une quelconque pudeur ou parcours de vie chaotique. Emerence excelle dans l'art de la conciergerie, le vrai, point de place aux commérages sur le pallier, dont elle se protège d'ailleurs en se retirant dans sa forteresse imprenable, et sait se rendre indispensable. Emerence est une idole qui avance voilée et règne en souveraine sur les vies misérables qui osent pénétrer dans sa cour. Emerence se donne sans mesure mais avec un détachement dégoulinant le mépris à ses heures maudites. Elle vous aime profondément, avec une tendresse sans bonheur ni joie et avec prédation, toujours.
Ce roman m'a littéralement travaillée au coeur, jouant avec mes nerfs comme on s'adonnerait à l'art complexe du macramé. J'en ressors avec l'apathie du coureur de fond trop longtemps privé d'oxygène et qui ne sait par quel miracle ses jambes répondent toujours à l'appel, plongé dans une confusion étrange. Une lecture qui s'infiltre dans les galeries de vos pores, de façon quasi indicible, et dont les effets prendront le temps nécessaire pour se manifester à vos états d'âme du moment.
Note : 3,5/5
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