LA VRAIE VIE, par Adeline DIEUDONNE
Quelle raclée, mes amis, que ce roman d'Adeline Dieudonné qui sous des airs angéliques d'oisillon à peine sorti de l'œuf livre une lecture qui vous explose au visage. Je suis sortie de ce bouquin un brin bouleversée et tremblante, il y a trois semaines déjà, c'est dire.
L'intrigue n'a quasiment plus de secret pour vous après plus de six cents critiques et je ne vais donc pas m'appesantir ici. L'héroïne vit de sacrées heures sombres dans son pavillon où tout semble si étouffé et dissimulé.
Entre un père braconnier et psychopathe, une mère inexistante qui prête plus d'attention à ces maudites biquettes qu'à sa propre progéniture, et ce sanctuaire morbide que son paternel couve comme une tigresse à deux pas de sa chambre, sûr qu'Elle n'avait déjà pas gagné à la grande loterie de la vie. Mais cette crasse-là, c'était gérable pour Elle, il y avait Gilles dans son giron, Gilles et son sourire, Gilles et leurs aventures dans la décharge en bas de la colline. Gilles, ce petit bonhomme de six ans. Gilles, dont la mort de son glacier et le spectacle incongru et absurde qu'elle offre va siphonner l'humanité. Une injustice de plus à tailler sur le bâton de pèlerin sur lequel Elle va devoir s'appuyer pour le ramener des Enfers.
Ce roman écrit à l'intersection de plusieurs genres comme le conte macabre, le roman social, l'horreur voire, à certains égards, le nature writing, déroute par les antagonismes avec lesquels il joue : tantôt vous irradiez au contact de cette plume imagée aux métaphores savoureuses qui vous ramène à vos quotidiens et leurs petits accidents, par sa douceur même, tantôt, elle vous ramasse avec violence, vous saute à la gorge jusqu'à la nausée.
Certains ne verront peut-être ici qu'un ouvrage obscène, un coup inutile car véritable ode au sadisme, quand d'autres pourront, dans ce brouillard tragique, percevoir un plaidoyer pour la témérité, un puissant cri d'amour. Car il s'agit bien de cela, d'une jeune fille très lucide sur ce qui se joue autour d'elle et les rapports humains qui s'enchevêtrent. Une héroïne qui, loin d'être désabusée, force l'optimisme et l'espoir, avec courage et certainement une putain d'inconscience caractéristique de son jeune âge, développant des trésors d'ingéniosité, à coups de physique quantique, pour parvenir à extirper son petit frère de ce monstre qui s'est autorisé à prendre sa place.
Une narration dynamique et concentrée qui m'a fait étouffer quelques hurlements. On vit littéralement aux côtés d'Elle, les tripes et l'estomac noués. Elle n'a pas de nom, Elle n'a pas de visage, un anonymat qui, au lieu de nous protéger en instaurant une certaine distance avec cette fresque horrifique, nous confond presque avec Elle. Ses yeux deviennent les nôtres et ce qui l'entoure devient alors inatteignable si bien que j'ai parfois eu la sensation de subir l'intrigue à sa place.
Une sacrée lecture en somme que je ne suis pas prête d'oublier.
Note : 4,5/5
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