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LE CHAMP DES SOUPIRS, par Elspeth BARKER

A la seconde où je suis tombée sur cette œuvre, mon cœur adolescent est remonté comme une petite bulle frémissante. Le soin apporté à l’illustration, l’esthétisme gothique de la juxtaposition des éléments et ce titre gonflé de mélancolie romantique : du miel à mes oreilles me submergeant de cette ambiance, ces émois et riffs dont je me délectais alors.


Et que dire de l’aventure suggérée ! Tous les ingrédients sont au rendez-vous, le décor majestueux d’une campagne écossaise du milieu du XXème siècle, la prédominance d’une nature capricieuse et souveraine et le destin tragique d’une héroïne incomprise, sauvagement fauchée à l’aube de sa floraison.


Mais qui est cette jeune personne dont le sort funeste plonge dans l’indifférence totale ses proches et fait danser les langues des vipères environnantes ?





L’auteure nous invite ici à arpenter les dédales du cœur de Janet, de ses premières années à ce moment fatidique. Janet est une petite fille somme toute ordinaire, excepté son aversion pour les poupées aux « paupières tremblotantes » et au « regard fou », elle se plait à se rêver en princesse à la grâce inégalée, ce dont elle manque cruellement à son grand désespoir. Evoluant au sein d’une classe qu’on dirait privilégiée, Janet est une enfant plutôt choyée, ne manquant de rien, en apparence.


Elspeth BARKER n’a pas son pareil pour retranscrire avec délice ces petits moments de vie d’allure insignifiante mais si fondateurs à l’enfance. Des grains de sable qui se logent entre les orteils sans qu’on parvienne à s’en défaire complètement en passant par les séances de lecture clandestine improvisées sous les couvertures à la barbe de l’autorité parentale, elle nous offre ici de savoureuses capsules temporelles dans lesquelles il fait bon se lover.


Enfant fantasque au tempérament énergique et à l’imaginaire fertile, Janet s’épanouit dans un univers de chimères et de contes légendaires en décalage avec un monde austère et pragmatique boudant le plaisir de ses envolées et dont les affres de la guerre sont comme des trouées béantes perforant son arc en ciel édulcoré. Dans le voile de mysticisme qui l’enveloppe, il n’y a pas de place pour les convenances et les devoirs que sa condition lui impose. Un état de fait qui lui attirera bien des ennuis. Là où Janet passe, les catastrophes s’amoncellent et se répandent comme un tapis de crocus aux premières heures du printemps. Si son caractère entier et désinvolte nous ravit, reste qu’elle fait montre d’un égoïsme patenté et de peu de sentiment à l’égard de ses semblables, ce qui nous donne presque envie d’excuser un entourage trop éprouvé par ses frasques.


Au fil de la lecture, la rupture s’annoncera vite consommée, sa famille ayant clairement démissionner au prix d’un semblant de sérénité. Cette coupable idéale est perçue comme une charge dont la canalisation, si ce n’est l’intégration, demanderait trop d’efforts à déployer. Elle a le don de se fourrer dans des situations périlleuses et n’exulte que lorsqu’elle est à contrecourant. Janet ne saurait vivre sans se mettre en scène – jusque dans la mort - à la manière des grandes tragédiennes grecques. La corde fragile qui la rattache au monde menace de rompre d’un instant à l’autre, laissant notre héroïne errant dans une lande sauvage, à l’image de ce vent solitaire se lamentant dans les branches et n’ayant pour seuls compagnons que la faune locale miséricordieuse.


La beauté et la richesse de ses élucubrations m’ont beaucoup touchée, parfois émue, mais je ne ressors pas de cette lecture avec la compassion et la pitié que certains avis ont pu me le laisser entendre. Si le sort de Janet est peu enviable sur le papier, je ne retiens pas l’existence triste et solitaire d’une jeune fille marginalisée, mais la puissance de son anticonformisme et de cette détermination à faire la part belle à la désinvolture de l’enfance, sans concession. Janet est une tête dure et bien pleine qui a délibérément préféré entretenir ses chemins de traverse plutôt que d’emprunter une voie, plus commode, qui l’aurait ternie.


« Oh, ce qu’elle s’amuserait en fantôme. Elle avait hâte ». Tu ne crois pas si bien dire Janet !


Un grand merci à NetGalley et aux Editions Le Livre de Poche.



Note : 4/5

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