LE LIVRE DES HEURES, par Anne DELAFLOTTE MEHDEVI
Poussée par un criant besoin d'authenticité et de curiosité de savoir-faire nobles, je me plonge allègrement dans une troisième excursion artisanale comme seule Anne DELAFLOTTE MEHDEVI sait les broder, et en prime, cette fois, me paye une virée en plein XVème siècle à l'heure des grandes découvertes.
Direction le pont Notre-Dame, dans une maison réputée d'enlumineurs de père en fils, à arpenter cette architecture toute particulière aux côtés de son hôtesse, non moins originale, Marguerite.
Une écriture vive, dense et presque minérale qui nous cueille dès les premières lignes, qui ne prétend qu'à l'essentiel tout en sonnant parfaitement juste. La psychologie du personnage de Marguerite est très intéressante : si l'on pressent aisément les futures aspirations de cette gamine libre d'esprit, toujours à s'arranger pour s'extirper des injonctions maternelles et sans arrêt fourrée dans les pattes des broyeurs affairés à leurs tâches, s'usant parfois même, dans ce ballet de couleurs et de matières, à les contempler jusqu'à l'épuisement, l'auteure ne précipite rien, elle respecte soigneusement l'état de maturité que l'on peut attendre de sa créature au fil de son évolution. Il y a dans la fascination que la petite nourrit pour l'enluminure quelque chose de très instinctif et animal et qui, au fil des ans, gonflé par une attraction dévorante, se muera en ambition véritable.
Au-delà des plaisirs simples que nous sert l'auteure, les allées et venues incessantes de Marguerite entre l'atelier et l'apothicairerie de son parrain, cher à son coeur, la jolie complicité qui l'unit à son frère, Jacquot, l'amour pour le façonnage, l'art manuel au service de la beauté du monde, on se heurte aux grands maux que l'époque ressasse avec elle, l'omniprésence de la morale chrétienne, les considérations machistes sur la condition féminine - presque une marotte dans les lectures qui jalonnent l'Histoire – qui planent et tournoient frénétiquement au-dessus des rêves de Marguerite. Rajoutez à cela une mère transpirante d'austérité, acariâtre, sans saveurs ni couleurs, dont la rigidité et l'étroitesse d'esprit n'ont de cesse que de ramener les élans et la ténacité de sa fille à de l'effronterie et de la bêtise, et il vous sera compliqué de parier sur un dénouement sympathique. Et pourtant, la gamine aux pigments ne lâche rien, usant de stratagèmes et allant même par faire capituler les idées convenues d'un grand-père qui n'aura d'autre option que de capituler face à son talent. La petite entreprise familiale ne connait pas la crise mais se prend tout de même une énorme claque de progressisme et ça fait sourire.
Je crois avoir trouvé, au pays des grenouilles, ma Tracy CHEVALIER.
Note : 4/5
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