LE SONGE DE GOYA, par Aurore GUITRY
Il existe des livres qui vous tombent dans les mains comme par magie, des livres dont vous n'auriez sans doute jamais croisé le chemin dans les dédales de votre librairie fétiche et qui vous projette dans des sphères inattendues. C'est là toute la force et la richesse de l'opération Masse Critique dont je remercie, une fois encore, les instigateurs qui m'ont permis de m'embarquer dans un songe épouvantable et merveilleux signé Aurore Guitry, et de découvrir la voracité et le génie des Caprices de Goya, accompagnant les sombres heures de la vie de l'artiste.
Fils d'un maître doreur espagnol, Francisco José de Goya y Lucientes fraichement sorti de son apprentissage de peintre, connait une ascension sociale spectaculaire puisqu'attaché aux services de la Cour du Roi d'Espagne pour lequel il deviendra portraitiste officiel. Une charge qui comme tout celle d'importance l'obsédera et le poussera dans une grande détresse en 1792 lorsque, atteint de saturnisme - dont certains l'imputent à la forte teneur des peintures en plomb, il se trouvera dans l'incapacité d'honorer ses commandes.
C'est à cette période douloureuse et fantasque que le roman d'Aurore Guitry s'attèle avec plus ou moins de liberté et une écriture d'une grande finesse. A ce moment crucial où tout bascule, ou le rêve et la raison se juxtaposent pour accoucher d'un délire d'une étonnante clairvoyance sur la société notamment.
Elle nous emporte avec frénésie dans un songe démoniaque, sur les terres arides des Mallos, un village décimé par la sécheresse et la maladie, un petit univers étouffant où Goya sera recueilli par Rosario, une femme intrigante toujours suivie de sa chatte Lucia, dévorant ses victuailles à même la chair et couvant son sanctuaire de damnés comme une mère attentionnée. Une terre où il ne fait pas bon sortir la nuit au risque d'être terrassé par la fièvre du Carnaval intempestif auquel se livre les morts sans relâche, en se riant des pauvres âmes perdues, encore revêtues d'un costume de chair dont ils ont auront tôt fait de s'occuper.
Le récit est court et efficace, le lecteur se prête facilement au jeu et se délecte à s'enfoncer avec horreur dans cette fresque complètement folle.
Note: 4/5
Comments